Hélène DUCCINI
Guerre et paix dans la France du Grand Siècle:
Abel Servien, diplomate et serviteur de l'Etat (1591-1659)
Comme nombre de grands serviteurs du roi, Abel Servien (1591-1659) est un oublié de l’histoire. Il a pourtant une ascension exemplaire marquée par les valeurs sociales de son temps où il convient, en s’appuyant sur son clan, de faire progresser celui-ci de la robe à l’épée. Entre Sully et Colbert, Servien trouve une place éminente comme intendant de Guyenne, négociateur en Italie, secrétaire d’Etat à la guerre, diplomate à Münster où il signe pour la France les traités de Westphalie en 1648, puis comme surintendant des finances. Le parcours sans faute de cet enfant du Dauphiné jusqu’aux plus hautes charges laisse entrevoir comment les monarques de l’Ancien Régime choisissent leurs serviteurs et gouvernent l’Etat.
un volume 15,5 x 24 de 412
pages, illustrations en noir et blanc
Éditions Champ Vallon
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Guerre et paix dans la France du Grand Siècle
AVANT-PROPOS
Première partie
I. Des débuts prometteurs, du clan dauphinois
Deuxième partie
I. Nouvelle mission de Servien en Italie
Troixième partie
I. Le secrétariat à la Guerre en l’absence de Servien
Quatrième partie
I Le retour en grâce et la mission à Müsnter (1643-1644)
Cinquième partie
I. Servien dans la Fronde en 1649-1650
Sixième partie
I. La succession de La Vieuville |
Guerre et paix dans la France du Grand Siècle:
Abel Servien, diplomate et serviteur de l'Etat (1593-1659)
Le Figaro (6 septembre 2012)
Dans l'ombre de l'histoire
Portrait tout en finesse d'Abel Servien,
un grand serviteur méconnu de l'Ancien Régime.
Les oubliés de l'Histoire méritent bien une session de rattrapage ! Surtout quand ce sont des hommes discrets qui, même s'ils n'ont pas occupé le devant de la scène, y ont joué un rôle majeur. Leur destin permet parfois de mieux comprendre une époque que les figures de proue. Il en va ainsi au XVIIe siècle d'Abel Servien, marquis de Sablé (1593-1659), grand commis de l'État et zélé serviteur du roi, qui a côtoyé de près Richelieu, Mazarin, Le Tellier, Colbert et Fouquet, sans jamais acquérir leur notoriété.
C'est à ce personnage, qui n'avait tenté jusqu'ici que quelques chartistes, que s'est attaquée avec bonheur Mme Hélène Duccini, spécialiste du Grand Siècle. Son ouvrage, joignant l'érudition à la clarté, brosse une somptueuse fresque de la politique, de la guerre et de la diplomatie française, du milieu du règne de Louis XIII au début de celui de Louis XIV. Son étude illustre parfaitement les systèmes de patronage et de fidélité, le jeu des fratries, des alliances et des réseaux d'amitié dans une société hiérarchisée à l'extrême, en un temps où les structures étatiques demeuraient embryonnaires. Tout est dit aussi des pratiques de la diplomatie du temps. On regrettera néanmoins une bibliographie exclusivement française (l'absence de référence, par exemple, à l'ouyrage majeur de l'Américain Paul Sonnino sur le congrès de Westphalie ... ) et le manque d'index.
Une fidélité à toute épreuve
Issu d'une solide famille de robe implantée en Dauphiné, Servien commence sa carrière comme procureur du roi au parlement de Grenoble, la poursuit comme intendant, puis comme secrétaire d'État à la guerre. Il est l'un des membres fondateurs de l'Académie française. Victime d'une cabale, disgracié, il reprend du service en devenant ambassadeur ordinaire à Rome, et extraordinaire en Italie. Excellent négociateur, quoique ombrageux, il participe activement aux négociations de la paix de Westphalie, qui met fin à la guerre de Trente Ans et dessine une Europe nouvelle.
Ses bons et loyaux services sont récompensés par une charge de ministre d'État et de surintendant des Finances, qu'il exerce conjointement avec le célèbre Nicolas Fouquet de 1653 à sa mort. C'est l'époque où il fréquente les financiers, réalise de juteuses opérations, accroît sensiblement sa fortune, achète aux Guise le château de Meudon, le fait restaurer par Le Vau et fait construire la fameuse terrasse. Ce sera son Vaux-le-Vicomte à lui! Chargé d'honneurs, Abel Servien disparaît en février 1659, à soixante-cinq ans, à temps pour échapper, contrairement à son jeune et brillant collègue, aux désagréments de la Chambre de justice voulue par Colbert. Il avait contribué à l'acquisition de la place de Pignerol, en Italie septentrionale, là où précisément Fouquet, condamné en 1664, devait passer le reste de ses jours. Comme quoi, mieux vaut parfois l'ombre de l'Histoire que celle des prisons…
Jean-Christian PETITFILS
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Parutions.com (Novembre2012)
Faire carrière sous Richelieu et Mazarin
Nous avons pris beaucoup de plaisir à la lecture du livre d’Hélène Duccini. Est-ce une bonne raison pour en recommander la lecture ? Nous le croyons.
Evidemment, nous voyons toutes les critiques qu’on pourrait lui porter. Certains feront la moue devant ce sujet très classique, la biographie d’un grand commis de l’État, Abel Servien
(1593-1659), licencié en droit qui gravit tous les échelons de l’État et devint, au prix d’un formidable investissement intellectuel et humain, maître des requêtes (1624), intendant de
Guyenne (1628), puis Premier Président du Parlement de Bordeaux (1630), enfin Secrétaire d’État de la guerre (1631-1636), et pour finir cette brillante carrière, Surintendant des Finances
(1653-1659). D’autres diront que la démarche est plus convenue encore : une biographie suivant un déroulement strictement chronologique. Enfin, un certain nombre de grincheux déploreront le
peu d’armature théorique et l’absence de paradigmes nouveaux. ''Et alors ?'', a-t-on envie de dire.
Car ce livre est d’abord un ouvrage mené d’une manière exemplaire, contextualisant avec talent la vie de Servien et n’hésitant pas à rappeler des points essentiels à sa compréhension :
l’importance du droit dans la formation de la bourgeoisie, la structure de l’administration, les conflits de compétences entre les différentes juridictions, les us et coutumes de la
diplomatie, les procédures de la prise de décision et plus généralement de dresser un tableau méticuleux des mœurs politiques de l’époque. En effet, la précision et la clarté du propos du
livre permettent de mettre en lumière un propos essentiel : les ressorts d’une carrière réussie. Elle repose sur trois facteurs.
D’abord une force de travail et une disponibilité hors du commun. On rencontre tour à tour Servien à Bordeaux, Cherasco, Münster et à chaque fois furent loués sa pugnacité et son esprit de
méthode qui n’était pas la dernière qualité à un moment où l’État administratif devenait toujours plus complexe et dont les défis étaient gigantesques : donner les moyens financiers et
logistiques pour soutenir la politique internationale de Louis XIII : poursuivre la lutte contre les Habsbourg en s’engageant peu à peu dans la guerre de Trente Ans (1618-1648). Ensuite, sa
capacité à se faire remarquer des puissants et à s’insérer dans leur clientèle. Ce fut le cas avec Richelieu (1585-1642) qui éprouva en Guyenne la fidélité du jeune Servien avant de le
propulser au sommet de l’État afin de consolider sa propre influence sur le Conseil. Enfin, il paraît déterminant, dans ce milieu très concurrentiel, de faire preuve d’une capacité de survie
politique à toute épreuve. Sur ce point Servien ne fut pas très habile car il ne sut ou ne put anticiper les chausse-trapes de ses ennemis, en l’occurrence le réseau Bouthillier-Bullion qui
le tint responsable devant le roi des revers militaires de la France en 1635. Et quand le 9 février 1636, Louis XIII en personne adressa les plus vives critiques à Servien, Richelieu, aussi
puissant fut-il, dut sacrifier son protégé.
Il est vrai qu’il revint au devant de la scène d’une manière magistrale grâce à Mazarin (1602-1661) qui lui confia les très épineuses négociations de Westphalie, occasion de très belles pages
de l’auteur qui montre avec brio l’opposition entre Servien, partisan d’une alliance avec les puissances protestantes pour jouer l’Empire contre l’Empereur, et son collègue, d’Avaux, qui
préférait une alliance avec les puissances catholiques. Il se jouait entre eux la vieille ligne de fracture qui structura la société politique durant tout le premier XVIIe siècle et que les
traités de Westphalie et des Pyrénées tranchèrent en faveur des premiers.
Suivre les déroulements de la vie de Servien sous la plume d’Hélène Duccini, c’est suivre l’irrésistible ascension de l’État moderne, c’est comprendre aussi les mille rouages d’une structure
étatique en pleine gestation, son perfectionnement dans le prélèvement fiscal et son efficacité à faire de la France la première puissance militaire du continent. En somme, ce livre agréable
et intelligent ne doit pas échapper à l’amoureux d’histoire qui redoute les ornières de l’érudition universitaire et se plaît au livre bien écrit.
Matthieu Lahaye
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Bibliothèque de l’Ecole des chartes (année 2012, volume 170, n° 2)
Compte-rendu
Qu’est-ce qu’une biographie ? Le récit chronologique de la vie d’une personne dont on juge qu’elle a un caractère exceptionnel ou exemplaire qui la rend digne d’être narrée. Pour les personnalités de premier plan, celles « qui font l’histoire », la question de l’opportunité et de la popularité de ce genre littéraire ne se pose pas, puisqu’à travers lui, c’est la « grande » histoire qui se révèle. Pour les seconds couteaux, il est nécessaire de s’imposer à l’intérêt du lecteur (et à l’attention des éditeurs souvent frileux à leur endroit). Associé à Hélène Duccini (qui avait précédemment fort bien servi Concini), Abel Servien, dont la carrière se déroula sous les auspices de Richelieu puis de Mazarin, est doté de très solides atouts pour y parvenir.
Le personnage est un très grand commis de l’Etat. Issu du Dauphiné et du monde des offices, il est successivement procureur général au parlement de Grenoble, maître des requêtes, intendant de Guyenne, où il affronte victorieusement la parlement de Bordeaux, secrétaire d’Etat de la Guerre, négociateur du traité de Cherasco, disgracié suite aux échecs des années 1635, puis négociateur de la paix de Westphalie où il s’oppose, comme tenant des alliances protestantes pour abaisser la puissance impériale, à son collègue d’Avaux qui, moins visionnaire, préfère jouer la carte catholique traditionnelle. Un mariage tardif et l’absence de descendance au-delà de ses deux fils, la ruine par l’incendie en 1795 de son château de Meudon acquis des Guises (dont il ne resta aujourd’hui que la célèbre terrasse) l’ont effacé de l’histoire, et l’on oublie souvent que son œuvre fut poursuivie par son neveu, Hugues de Lionne, qu’il avait formé dans les bureaux du secrétariat d’Etat de la Guerre.
A cette carrière le plus souvent bien menée d’un rude serviteur de l’Etat, qui montre comment c’est à travers les individus, leur acharnement au travail et à l’élévation sociale, ainsi qu’à travers leurs rivalités et leur agencement en réseau de clientèles que l’Etat moderne a pu s’imposer au prix d’une tension fiscale et militaire sans précédent, répond, au fil d’un récit bien mené, bien contextualisé, bien écrit, une relecture de la première modernité. L’ouvrage réalise la synthèse de l’historiographie existante et, ce faisant, met au jour tout un pan de travaux d’érudition jusque-là inédits. Hélène Duccini est en effet la talentueuse metteuse en mots d’un programme élaboré dans un cadre dauphinois par Augustin Jacquemont, président de l’Association des amis d’Abel Servien, et a largement utilisé les deux thèses d’Ecole des chartes consacrées à Servien par Robert Lavollée (1902) et Anne-Marie Enaux(1967), ainsi que les travaux de maîtrise plus récents de Guillaume Lasconjarias (1999, dont plusieurs articles publiés) et d’Olivier Chosalland (2002). Ajoutons que l’illustration est parfaitement intégrée dans le texte qu’elle complète directement.H. Duccini nous livre ainsi un Servien classique, essentiellement l’homme public, sans scrupule pour s’imposer, rude et hautain, inlassable travailleur, une histoire politique et diplomatique de facture traditionnelle qui, sans les ignorer, fait une part plus modeste aux questions que l’on est amené à se poser, au fil de la lecture, sur l’homme privé. La mort a sans doute préservé Servien des poursuites qui anéantirent le clan Fouquet et ses réalisations immobilières sont, contrairement à celles de ce dernier, tombées dans l’oubli. Pourtant, avant Vaux-le-Vicomte, Meudon (d’où un somptueux coche d’eau privé acquis aux Provinces-Unies menait Servien au Louvre) peut apparaître avec son architecte Le Vau et ses équipes de maçons limousins comme un maillon dans le processus architectural qui, en passant par Vaux, conduit à Versailles. Pour en savoir plus sur ce point, comme plus généralement sur les relations sociales et la gestion patrimoniale, suggérons que le dossier pourrait être nourri et prolongé par le recours systématique et original aux archives notariales. On sait en effet tout ce que le Richelieu de Joseph Bergin a dû aux archives de son notaire ; il est vraisemblable que Servien gagnerait gros à une telle enquête.
Françoise Hildesheimer